Gilet Jaune charentais, Jason Herbert comparaissait ce mardi 10 septembre devant le tribunal correctionnel d’Angoulême (Charente), nous y étions.
Incohérences procédurales, contradictions dans les déclarations des parties civiles, sa place n’était peut-être pas à la barre d’un tribunal et vous allez comprendre pourquoi. « Monsieur n’ayant aucun antécédent judiciaire, je requiers 2 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi que 140 heures de travaux d’intérêt général », c’est par ces lourdes réquisitions qu’a conclu Elise Bozzolo la procureure de la république. Deux faits de longue date lui sont reprochés, un outrage à un gendarme lors d’un rassemblement et la suppression d’un article sur le site web d’un média local.
« Pourquoi faites-vous le cow-boy ? », de la liberté d’expression à l’outrage il n’y a qu’un mot
Le 5 janvier 2019, un rassemblement est organisé pour une action de désobéissance civile, se présentent alors trois gendarmes motocyclistes avant même le début de l’évènement. L’un deux, commandant de l’escadron départemental de la brigade motorisée de la Charente, donne alors des injonctions très fermes aux personnes présentes. Jason Herbert explique de bonne foi à la barre du tribunal la suite des évènements : « Le ton employé était très dur et m’a semblé inutile puisqu’il ne s’était encore rien passé, surtout qu’au fil des propos du gendarme, on sentait l’énervement monter dans le regard des personnes présentes. J’ai assisté à Bordeaux à des scènes similaires où la situation dégénérait ensuite à cause de cela et même pour moins que ça, j’ai donc voulu le faire remarquer en lui disant [il est inutile de nous parler de façon péremptoire comme ça, pourquoi faites-vous le cow-boy ?], et il est immédiatement descendu de sa moto en me disant [je sais qui vous êtes, je vous reconnais] et pour cause puisque quelques semaines auparavant j’avais été très médiatisé ».
La présidente du tribunal correctionnel interroge ensuite le commandant « Monsieur Herbert a également déclaré au cours de son audition que vous aviez un regard haineux, qu’en pensez-vous ? ». Il se lève pour prendre la parole et reconnait avoir eu des propos et un ton péremptoire et justifie cela par « la nécessité de faire preuve d’autorité pour dissuader et prévenir tout danger, pour la sécurité de tous ». Il enchaîne plus précisément sur la question qui lui a été posée en indiquant que son escadron et lui-même « ont été mobilisés sans discontinuer pendant de longues semaines pour encadrer les opérations des gilets jaunes, la fatigues’est donc accumulée et il y avait peut-être une forme de lassitude, c’est possible ». Là encore, il reconnait du bout des lèvres la véracité des propos de l’accusé, tout en rappelant à chaque fois que cela avait pour seul but d’assurer la protection des personnes et d’anticiper tout débordement conformément à la loi et à sa fonction de représentant de l’autorité. Son avocat demande 300€ de dommages-intérêts pour préjudice moral en mettant en avant que les propos ont été entendus de tous et que cela a jeté le discrédit sur la fonction et l’autorité du commandant de gendarmerie. La procureure invite le gilet jaune à décrire ce que signifiait pour lui le terme de cow-boy. Il répond alors très sereinement que « c’était pour décrire une attitude totalement disproportionnée et inadaptée à une situation pourtant calme, il n’y avait aucune intention outrageante ».
Vient ensuite la plaidoirie de Maître David Libeskind, l’avocat du gilet jaune. Il ne manque pas de faire remarquer que contrairement à ce qu’a prétendu son confrère représentant la partie civile (le gendarme), personne d’autre que le gendarme n’a entendu les propos. « Tout d’abord, Madame la Présidente, je vous ferai remarquer que si l’on s’en réfère à la fiche de liaison du parquet dans ce dossier, c’est un classement sans suite qui avait été demandé ou un rappel à la loi, on peut donc s’interroger sur la raison pour laquelle mon client est aujourd’hui devant vous pour des faits d’outrage. Peut-être que cela vient de plus haut non ? Le parquet général ou le ministère de la justice par exemple car Monsieur Herbert était médiatisé ? C’est surprenant. Sur le fond, les deux autres gendarmes présents lors des faits ont été interrogés et qu’ont-ils déclaré ? Qu’ils n’ont pas entendu les propos que l’on reproche à mon client. Ils décrivent même l’attitude de Monsieur Herbert comme étant très calme, sans agressivité, il est donc difficile de soutenir que le commandant a été outragé publiquement. Aussi, il serait très grave de considérer de tels propos comme étant outrageants, en tant que magistrat vous savez ce qu’est vraiment un outrage, vous avez dû en voir, et c’est pour cette raison que je vous demande la relaxe ».
Il n’aura échappé à personne que dans les reportages régulièrement diffusés sur de grandes chaines de la TNT à des heures où des millions de personnes sont devant leur télévision, il est courant de voir et d'entendre des injures proférées au nez des gendarmes ou policiers lors de contrôles routiers. Comparaison n’est pas raison, toujours est-il que nous n’avons pourtant jamais vu une seule de ces personnes être poursuivie pour outrage, les membres des forces de l’ordre préférant jouer la carte de la pédagogie face à la caméra.
La limite entre l’outrage et la liberté d’expression semble bien restreinte dans le pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le ridicule ne tue pas, les contradictions non plus
Le 30 novembre 2018, Jason Herbert sort d’une rencontre à Matignon avec Edouard Philippe et François de Rugy. Quelques heures après et alors qu’il s’apprête à prendre son train retour pour la Charente, il découvre un article de la Charente Libre, journal qui est plus connu pour sa course au buzz que pour ses articles de fond. La Présidente d’audience demande au mis en cause de s’en expliquer. Il enchaine alors : « J’étais à Montparnasse quand j’ai vu un nouvel article de la Charente Libre me concernant. L’article en lui-même ne me posait aucun problème, la Charente Libre avait déjà sorti trois articles bien plus violents à mon encontre dans les jours précédents puisqu’ils souhaitaient se venger car j’y ai travaillé pendant deux ans et demi sans contrat de travail et que j’ai réussi à faire condamner la Charente Libre dans une procédure devant le Conseil de Prud’hommes. Chose qu’ils ont encore en travers de la gorge. Donc leurs articles ne me dérangeaient pas, c’est le jeu si l’on peut dire ainsi. Cependant, j’ai tout de suite vu qu’ils avaient illustré leur dernière publication avec une photo. Une photo sur laquelle se trouvait 7 collègues de travail qui n’avaient rien à voir avec le mouvement, leur nom, leur lieu de travail, leur photo et leur grade n’étaient pas floutés. Ayant été exposé à une pression terrible et des menaces durant la semaine qui venait de s’écouler, je me suis aussitôt dit que ces personnes qui n’avaient aucun lien avec les gilets jaunes allaient être exposées inutilement. J’ai donc voulu les protéger. J’ai alors contacté Monsieur XX, journaliste à la Charente Libre, tout d’abord pour lui demander d’ajouter ma réaction car je le redis l’article ne me posait aucun problème, puis pour lui demander le floutage des autres personnes et de leurs informations. »
Il explique ensuite s’être connecté à l’administration du site charentelibre.fr avec des identifiants qui lui avaient été donnés 6 ans auparavant et dont le mot de passe n’avait pas été changé. Un site qui contient pourtant des informations très confidentielles sur des milliers de lecteurs. Selon nos informations, cette négligence n’est pas un cas isolé et aucun système n’a été mis en place pour obliger la mise à jour des mots de passe régulièrement, comme c’est pourtant le cas dans toutes les entreprises dignes de ce nom . Il plaide ensuite la maladresse, indiquant qu’il a simplement souhaité supprimer la photo et pas l’article. Nous ne nous attarderons pas sur cela car cela ne change rien à l’infraction reprochée.
Débute alors la plaidoirie de Maître Valérie Sempé, avocate du journal. Il faut l’entendre pour y croire. Elle attaque d’emblée sur une atteinte à la liberté de la presse. Elle oublie de préciser qu’à l’issue de la garde à vue de Jason Herbert et d’un énième article de la Charente Libre, ce dernier avait envoyé un droit de réponse comme la loi le lui permet. Malgré deux lettres recommandées avec accusé de réception, absence de réaction du journal, synonyme d’un refus. Pour rappel, le refus d’insertion d’un droit de réponse est un délit, n’est-ce donc pas ici le journal qui a un problème avec cette liberté d’expression ?
Elle demandera ensuite pourquoi l’ancien journaliste n’a pas chercher à contacter la Charente Libre pour faire part de sa problématique quant à la photo non floutée. Là encore, c’est oublier que le journal a bien été contacté. C’est la Présidente d’audience qui l’avait indiqué quelques minutes auparavant en reprenant les propos du rédacteur en chef, Armel Leny. C’est d’ailleurs sur les propos de ce dernier que s’est appuyée l’avocate du média, lorsqu’elle a tenté de décrire la procédure nécessaire pour supprimer un article, une procédure qui selon elle ne laissait guère de place à une maladresse comme l’a pourtant plaidé l’accusé. Sur ce point, l’argumentation de la partie civile sera encore fragilisée quelques minutes plus tard. Et pour cause, le prévenu réplique en se demandant « si c’est de façon volontaire ou involontaire que le rédacteur en chef du journal a oublié de décrire aux enquêteurs une deuxième procédure de suppression de contenu sur le site ». Une seconde procédure qui permet de corroborer la thèse de la maladresse plaidée par la défense. Se dessine peut-être ici la raison pour laquelle celui qui est aussi Directeur de publication du journal avait oublié de communiquer cette seconde méthode lors de son audition par les services de police.
Le petit média local conclut en demandant 1 euro de dommages-intérêts, c’est dire si le préjudice occasionné est important. En réponse et conclusion, l’avocat du prévenu a sollicité la relaxe en insistant sur la négligence de l’entreprise et l’absence d’intention de nuire de Jason Herbert, rappelant également la volonté de vengeance de son ancien employeur.
Le 24 septembre , la justice dira si de tels faits sans arme, ni haine, ni violence, méritent une peine d’emprisonnement.
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